Sous l'Ancien Régime, le sort des bâtards nés dans le peuple n'était guère enviable mais il s'améliorait à mesure que s'élevait la classe sociale de leurs pères. En effet, en bien des châteaux, les enfants naturels étaient élevés avec les légitimes. Dans l'immense lignée de Capétiens, le bâtard, s'il était reconnu, bénéficiait partiellement du prestige et même du caractère sacré, quasi magique "Sang de France". Il était d'ailleurs soumis à la hiérarchie dynastique. C'est ainsi qu'il y eut entre autres un "Grand" Bâtard de Bourgogne, un "Grand" Bâtard de Bourbon. Ce titre dû à l'aînesse ne donnait naturellement aucun droit à la succession royale ou ducale.
Mais le plus illustre des bâtards fut celui que la postérité devait connaître sous le nom duc comte de Dunois bien qu'il ait reçu ce titre seulement à trente-six ans. Jusque là, il se nommait fièrement, Bâtard d'Orléans. C'était en effet le fils naturel de Louis duc d'Orléans, lui-même fils cadet de Charles V, ce qui, par le sang, faisait de lui un cousin germain de Charles VII dont il épousa la cause pendant la dernière partie de la guerre de Cent Ans.
Cependant il faut dire que, s'il défendit vaillamment Orléans contre les Anglais, ce fut moins par loyalisme envers le "roi de Bourges" que pour sauvegarder le bien de son demi-frère le poète Charles d'Orléans, prisonnier depuis la bataille d'Azincourt.
Il commençait à désespérer quand surgit l'armée de secours conduite par Jeanne d'Arc. Les rapports du jeune prince et de la bergère furent d'abord orageux. Mais, tandis qu'ils se disputaient de la meilleure stratégie à suivre, le vent qui soufflait sur la Loire et qui était le principal sujet de leur querelle changea subitement de direction, donnant raison à la jeune fille. Le Bâtard regarda cela comme un miracle, dès lors, crut en la Pucelle, combattit à ses côtés et, beaucoup plus tard, déposa en sa faveur lors de son procès en réhabilitation. Bien qu'au cours de sa longue carrière, Dunois s'alliât deux fois aux féodaux, la première contre Charles VII, la seconde contre Louis IX, il contribua à la libération de la France et servit utilement le roi en son Conseil. Il fut l'ancêtre des ducs de Longueville dont le dernier s'éteignit sous Louis XIV.
De sa chère Agnès Sorel, le roi Charles XII eut trois filles. L'une d'entre elles, Charlotte de France, épousa le comte de Brézé, qui la tua après l'avoir surprise en flagrant délit d'adultère, d'où un scandale retentissant. Le fils aîné de Charlotte, Louis de Brézé, épousa Diane de Poitiers, de quarante ans sa cadette. Par une des filles de ce couple étrange, la duchesse d'Aumale marié à un Guise, Charlotte devait être l'ancêtre direct non seulement de Louis XV et des derniers Bourbon régnants, mais aussi de Juan Carlos, l'actuel roi d'Espagne.
Ensuite, pendant une longue période, il n'y eut aucun bâtard royal reconnu, même issu de François Ier malgré ses nombreuses amours.
Tout changea avec Henri II. Lorsque ce dernier avait seulement quatorze ans et s'appelait le duc d'Orléans, il fut marié à une petite italienne du même âge, Catherine de Médicis. Cette union resta stérile pendant plusieurs années, grave sujet d'inquiétude car entre temps, le jeune prince était devenu l'héritier du trône. On se demandait lequel des deux époux ne pouvait avoir d'enfant. Henri dissipa les doutes : pendant la campagne en Italie, il violenta une jeune Piémontaise de grande beauté, Filippa Duc. Une fille naquit qu'on se hâta d'enlever tandis que sa mère se perdait au fond d'un couvent. On la baptisa Diane et, lorsque la chose devint publique, on se demanda longuement s'il ne s'agissait pas d'une fille de Diane de Poitiers, déjà toute puissante sur le cœur et l'esprit d'Henri.
Il n'en était rien. Cette aventure devenue affaire d'Etat faillit provoquer la répudiation de Catherine de Médicis puisqu'elle ne donnait pas jour aux enfants que son mari pouvait avoir d'une autre. Elle fut sauvée par Diane de Poitiers qui craignait une autre rivale plus dangereuse et, après dix années d'attente, la reine mit au monde dix enfants.
Cela ne causa aucun tord à la petite Diane qui devint Diane de France à l'avènement de son père et épousa le duc de Castro, puis le duc de Montmorency. Deux fois veuve, elle fut titrée par Henri III duchesse d'Angoulême. C'était une femme irréprochable, universellement respectée à la cour dissolue des Valois. Elle joua un rôle important de médiatrice pendant les guerres de Religion et sut notamment réconcilier Henri III et le futur Henri IV.
Bien différent fut son demi-frère, le Bâtard d'Angoulême qu'Henri II avait eu en 1550 d'une belle Ecossaise, Lady Flemming, à la grande fureur de Diane de Poitiers. C'était un tueur qui participa férocement aux guerres de Religion et compta parmi les assassins de Coligny. De Nicole de Savigny, Henri II eut encore un fils qu'il titra Baron de Valois-Saint-Rémy et qui fut sans histoire. La fameuse comtesse de la Motte-Valois, principal personnage, sous Louis XVI, de l'affaire du Collier, prétendait descendre de lui.
En 1573, la reine Élisabeth d'Autriche, épouse de Charles IX, et Marie Touchet, sa maîtresse, eurent chacune un enfant : la reine une fille, la favorite un fils.
"Tant mieux pour le royaume !" dit Charles IX.
Il avait raison. Ce Charles de Valois fut un seigneur redoutable. Avare, il ne voulait pas payer ses domestiques et les envoyait détrousser les passant sur le pont-Neuf. Sa tante, Marguerite, femme d'Henri IV, se prit de querelle avec lui et la chose faillit se terminer fort mal car Charles tenta de la faire enlever, voire de l'assassiner. Plus tard, il conspira contre Henri IV devenu le maître du royaume. Son dessein ayant échoué, ce fut encore la Reine Margot, maintenant divorcée du Vert Galant et réconciliée avec lui, qui permit de faire capturer le coupable et Charles sauva sa tête de justesse. Sous Louis XII, il fut titré duc d'Angoulême. Il accomplit une importante ambassade en Allemagne pendant la guerre de Trente Ans et reçut le commandement de l'armée qui assiégea La Rochelle. Sa postérité s'éteignit pendant le règne de Louis XIV.
On ne sait combien d'enfants naquirent de toutes les conquêtes faites par le Vert Galant pendant sa tumultueuse jeunesse. En 1592, tandis qu'il luttait pour conquérir son royaume, il souffrit d'un mal vénérien à la suite duquel le médecin d'Aliboust lui annonça qu'il ne pourrait plus procréer. C'était une catastrophe nationale, d'autant que le fils posthume de son cousin, le prince de Condé, qui aurait dû être son héritier, avait la solide réputation d'être un bâtard. Aussi quelle joie, à l'automne 1593, quand Gabrielle d'Estrées, maîtresse en titre du Vert Galant, se retrouva enceinte ! Le médecin persista imprudemment dans son diagnostique. Il mourut peu après, empoissonné, dit-on par un des familiers de la favorite. Celle-ci avait un amant de cœur, le beau Belle-Garde, et l'opinion presque unanime lui attribua la paternité de l'enfant. Le roi qui devait avoir ses raisons n'en fut pas moins persuadé du contraire. Il considéra immédiatement comme sien le fils qui naquit le 7 juin 1594 et qu'il nomma César à l'issu d'un baptême princier. Or un mariage blanc unissait Gabrielle au sieur de Liancourt dont César aurait dû porter le nom. Qu'à cela ne tînt ! En janvier 1595, l'official d'Amiens prononça la nullité de ce lien. Henri qui s'était entre temps rendu maître de Paris arracha au Parlement la légitimation de César, métamorphosé du coup en Bourbon. Peu après, Gabrielle lui donna une fille, Catherine Henriette, à laquelle la sœur humiliée du monarque fut contrainte de servir de marraine.
En 1598, Henri IV n'avait plus qu'un ennemi en France, le puissant et très riche duc de Mercoeur, maître de la Bretagne. Son ralliement fut scellé par le mariage de sa fille-héritière avec César âgé de cinq ans auquel le roi offrir en présent de noces le duché de Vendôme.
A la veille de l'édit de Nantes, Gabrielle donna encore le jour à un garçon et Henri, transporté le prénomma Alexandre et lui confia dès le berceau le gouvernement de Lyon. Seule, la mort brutale de Gabrielle empêcha que la Belle devînt reine et que ses fils fussent aptes à régner, ce qui aurait pu provoquer une nouvelle guerre civile. Les Vendôme ne s'en consolèrent jamais et furent sous Louis XIII d'éternels conspirateurs. Le roi les haïssait. Alexandre, dit le Grand Prieur, mourut en prison.
Son frère, le duc de Beaufort, surnommé le roi des Halles, fut un des principaux chefs de la Fronde et manqua d'assassiner Mazarin. Ayant fait sa soumission, il mourut en combattant les Turcs devant Candie. Certains ont cru le reconnaître sous le Masque de Fer, mais c'est une légende.
Les plus glorieux des Vendôme fut le maréchal de ce nom que Louis XIV combla de faveurs et qui fut un grand capitaine. C'est lui qui maintint Philippe V sur le trône d'Espagne. Saint Simon, ennemi juré des bâtards, a tracé un portait hallucinant de ses vices, de sa saleté et de sa maladie vénérienne.
Il faut maintenant revenir à Henri IV. Pendant qu'il négociait son second mariage avec Marie de Médicis, il tomba dans les filets d'une adolescente perverse, Henriette d'Entragues, fille de l'ancienne maîtresse de Charles IX, qui l'ensorcela au point qu'il lui promit par écrit de l'épouser si elle lui donnait un fils. Un orage sauva la France de nouveaux troubles car la foudre fit accoucher (dit-on) la favorite d'un enfant mort. Lorsque le second, Henri-Gaston de Bourbon naquit en 1604, Marie de Médicis avait déjà donné un dauphin au royaume. Henri-Gaston reçut l'évêché de Metz à six ans, mais il n'embrassa pas l'état ecclésiastique et devint marquis de Verneuil. Henriette ne se priva pas de clamer qu'il était l'héritier légitime de la couronne. Elle rassembla les mécontents, parmi lesquels notre Charles de Valois, et ourdit un complot. Henri IV devait être assassiné et le petit bâtard intronisé. Tout fut heureusement découvert à temps. Henriette, pardonné, n'en continua pas moins de tourmenter le roi jusqu'à sa mort. Elle fut accusée d'avoir eu sa part de responsabilité dans le crime de Ravaillac, mais la reine, sa rivale étouffa l'affaire. Elle avait eu également, Gabrielle, que Louis XIV fit venir tardivement à la Cour comme s'il cherchait une justification à ses propres amours. Les Bourbons-Verneuil furent aussi effacés que les Vendôme étaient remuants et n'eurent pas de postérité.
Autre bâtard d'Henri IV, le comte de Moret, fils de Jacqueline de Bueil, eut une destinée bien différente. Il conspira beaucoup contre Richelieu et mourut à la bataille de Castelnaudary qui coûta la liberté au duc de Montmorency.
Le Vert Galant eut encore deux filles de Charlotte des Essarts. Quoique légitimées, elles entrèrent en religion et n'eurent pas d'histoire.
Les bâtards capétiens qui jouèrent le rôle politique le plus important furent cependant ceux de Louis XIV. Louise de la Vallière en eut plusieurs dont deux survécurent. D'abord soigneusement cachés sous la garde de Colbert, le comte de Vermandois et Mlle de Blois furent légitimés. Vermandois, nommé amiral de France presque aussitôt, se laissa impliquer, encore adolescent, dans le seul scandale que Louis XIV avait laissé éclater contre les homosexuels si nombreux à sa cour. Cruellement puni et traité comme un pestiféré, Vermandois alla à la guerre où il trouva la mort à seize ans.
Sa sœur, Marie-Anne de Bourbon, combla les vœux de son père qui voulait faire entrer ses enfants naturels dans la vraie famille royale : elle épousa en grande pompe le prince de Condi et resta veuve de bonne heure. Cette princesse avait beaucoup de charme et d'intelligence. Elle parvint à dominer complètement son demi-frère, le Grand Dauphin, dont elle gouverna la petite cour. Elle entra dans diverses intrigues au grand mécontentement du roi, mais réussit toujours à s'en tirer sans dommage. Quand elle perdit sa mère retirée au Carmel, elle porta un deuil spectaculaire, luxe que ne pouvait s'offrit les enfants de Mlle de Montespan, fruits d'un double adultère.
Les bâtards de la superbe marquise, d'abord cachés eux aussi, étaient confiés à la veuve Scarron, plus tard marquise de Maintenon. En 1673, Louis XIV, bravant le Parlement et l'opinion, fit légitimer à leur tour ceux qui avaient survécu. Louis-Auguste, né infirme (il boitait), avait grâce à Mlle de Maintenon qui ne l'oublia jamais et l'aida à faire son éclatante fortune. Titré duc du Maine, il reçut très tôt un commandement où il aurait dû se couvrir de gloire. Ce fut hélas ! le contraire qui se produisit et Louis XIV donna libre cours à l'une de ses rares colères de son règne que Mlle de Maintenon apaisa.
Son "mignon" fit un grand mariage en épousant Bénédicte de Bourbon, fille du prince de Condé. Elle était si petite qu'on l'appelait une "naine du sang", ce qui ne l'empêchait pas d'avoir une personnalité aussi originale que despotique. Pour échapper à l'ennui de Versailles, elle réussit à faire croire qu'elle avait l'esprit dérangé. Cela lui permit d'avoir à Sceaux sa propre cour où elle donnait des fêtes retentissantes et se livrait à mille extravagances. Elle protégea aussi Voltaire.
Le rôle du duc du Maine devint considérable quand la mort eut emporté toute la descendance légitime de Louis XIV à l'exception d'un enfant de cinq ans qui devait être Louis XV. La régence revenait normalement au duc d'Orléans, neveu du roi, mais Louis XIV ne lui pardonnait ni ses débauches, ni son athéisme. Mlle de Maintenon qui le haïssait obtint du vieillard que les légitimés fussent déclarés aptes à succéder et, chose encore plus grave encore, que, pendant la régence, l'essentiel du pouvoir revînt au duc du Maine.
Sitôt le roi mort, Orléans fit casser son testament par le Parlement auquel il dut, en retour, rendre les prérogatives politiques qu'il avait perdues après la fronde. Ce fut le malheur de la monarchie car les parlementaires purent ainsi s'opposer à toutes les tentatives de réforme, sous Louis XV et sous Louis XVI, qui auraient pu éviter la Révolution.
Poussé par sa femme, le duc du Maine ourdit avec l'ambassadeur d'Espagne, Cellamare, une conspiration qui échoua piteusement et, après un temps de captivité, il cessa sagement de se mêler de politique. Ses sœurs avaient des positions contraires. Louise-Françoise de Bourbon-Condé, combattit le duc d'Orléans avant la mort de Louis XIV, puis se rallia à sa cause et gagna des sommes énormes à la faveur du système Law. Elle fit construire le Palais Bourbon et l'hôtel de Lassay destiné à son amant.
Françoise-Marie, le seconde Mlle de Blois, épousa Philippe d'Orléans lui-même, au grand scandale de la Cour. Madame Palatine, mère du jeune prince, le souffleta publiquement. Le " Régent " appelait sa femme madame Lucifer (ce qui ne l'empêcha pas de lui donner de nombreux enfants) et elle prit toujours le parti de son frère contre son mari.
Au contraire de cette famille agitée, le dernier fils de Mlle de Montespan, nommé comte de Toulouse et amiral de France, fut un modèle de loyalisme et de vertu. Saint-Simon lui-même le respectait et le loua, c'est tout dire. Son fils, le duc de Penthièvre, hérita de l'immense fortune de Mme de Montespan et de Mme de Maintenon, pour une fois alliées, avaient su arracher à la Grande Demoiselle en échange de la libération de Lauzun. Lui aussi fit admirer sa générosité et sa bonté. Il mourut de chagrin après l'assassinat de sa belle-fille, la princesse de Lamballe, pendant la Révolution. Sa fille est la mère du roi Louis-Philippe.
La rumeur publique prêta à Louis XV plusieurs centaines de bâtards. Il semble qu'ils ne furent pas plus d'une dizaine. Pour éviter les troubles qu'avaient causés ceux de son prédécesseur, le roi ne voulut en reconnaître aucun, à l'exception de l'abbé de Bourbon, né de ses tardives amours avec Mlle de Romans. Ce garçon fut élevé par Mesdames, filles du roi, et obligé d'entrer dans les ordres. Il y mourut jeune.
Louis XV avait eu un fils de Mlle O'Morphy, le célèbre modèle de François Boucher. Il fut, comme il était naturel, un naturel, un ardent révolutionnaire. Selon certains récits qui semblent être des légendes, ce serait lui et non Santerre qui aurait fait battre les tambours dont les roulements étouffèrent la voix de Louis XVI sur l'échafaud.
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